3 questions à … Pauline Bochkareva-Dubois – Présidente de l´ACTAS

SMCL : Les équipes du Salon des Maires et des Collectivités locales (SMCL) ont proposé à l’ACTAS d’être partenaire de l’événement cette année notamment pour porter un éclairage nouveau   sur les nombreux enjeux sociaux investis par les collectivités territoriales.  En quoi la présence des cadres territoriaux en charge de l’action sociale à l’occasion de cet événement est pour vous utile et importante, au côté des élus réunis ?

Pauline Bochkareva-Dubois : L’ACTAS, association des cadres territoriaux de l’action sociale, est une association créée en 1978 sous les auspices de la confraternité professionnelle entre les directeurs.trices des centres communaux d’action sociale. L’évolution du paysage institutionnel et les mutations des problématiques sociales l’ont amené à réinterroger son projet associatif en 2018, notamment pour s’ouvrir aux cadres des conseils départementaux et aux cadres des métropoles et intercommunalités travaillant sur les sujets sociaux.

Les professionnels de l’ACTAS, et plus généralement du secteur social sont aux côtés des élus des  collectivités locales pour répondre à nombre d’enjeux de société : accompagnement des personnes en situation de précarité, participation, coordination ou organisation des dispositifs aide alimentaire, gestion d’EHPAD, de résidences autonomie, de dispositifs d’accompagnement des séniors et personnes âgées et de leurs aidants, parfois gestion d’établissements petite enfance, pilotage du Fond de Solidarité Logement, du Fonds d’Aide aux Jeunes…

En tant que professionnels de terrain, confrontés aux difficultés de vie des habitants, développeurs de projets sociaux bien souvent innovants et pleinement ancrés dans la réalité territoriale, l’ACTAS a été sensible à la proposition des organisateurs du SMLC. En effet, le renforcement, au sein du salon, de la place réservée aux sujets  de « cohésion sociale », répond selon à un enjeu de reconnaissance d’un secteur qui, au gré des évolutions institutionnelles, tend à constituer l’essentiel des compétences de la commune, qui constitue le cœur du service public de proximité et dont la qualité des  actions menées ne sont probablement pas étrangère à l’attachement des citoyens à leur maire.

SMCL : Personne ne sait vraiment quels seront sur le long terme les impacts économiques et sociaux de la crise sanitaire. D’ores et déjà, constatez-vous des conséquences concrètes qui appellent à des réponses sociales immédiates, un accompagnement auprès de populations fragilisées par les derniers mois écoulés ?

Pauline Bochkareva-Dubois : Les professionnels du secteur social ont effectivement été particulièrement mobilisés depuis le début de la crise. En première ligne, ils n’ont pas faillis et sont toujours particulièrement mobilisés à la fois pour répondre aux besoins immédiats mais aussi pour constater que les tendances sur lesquelles nous alertions avant  la crise ont été exacerbées : précarisation des travailleurs pauvres, des migrants quel que soit leur statut, des jeunes, mal-être et déficience des dispositifs de santé mentale, illectronisme, isolement des aidants…la liste des défis auxquels s’attaquer est longue et impose des approches holistiques et des partenariats élargis entre les institutions, les associations et les citoyens et au-delà l’ensemble de la société civile, intégrant les entreprises. A cet égard, le sujet de l’autonomie alimentaire, mis en lumière à l’occasion de la crise, est tout à fait représentatif des interconnections aujourd’hui indispensables pour que chacun.e puisse accéder à une alimentation de qualité : agriculteurs, grossistes, grandes surfaces, associations caritatives historiques, associations de proximité, association/ entreprises de redistribution, collectifs d’habitants, administrateurs et utilisateurs de jardins familiaux, association de santé publique, consommateurs, citoyens, citoyens – consommateurs…

De ce point de vue, la diversité des acteurs et par conséquent des approches rend parfois difficile l’identification de « chefs de file » et disperse l’énergie de l’écosystème.

En outre,  les professionnels du secteur sont souvent confrontés au challenge de construire simultanément les réponses à l’urgence et des stratégies d’action qui prennent suffisamment en compte ces mutations profondes des problématiques sociales liées autant à l’augmentation des inégalités qu’à l’augmentation des sentiments d’inégalité.

Pour agir sur la fragmentation de la société, les professionnels du secteur social ont aujourd’hui à revoir profondément leurs modes d’actions et d’intervention, leurs postures, en particulier pour identifier et déployer l’ensemble des dispositifs permettant de lutter contre le non-recours aux droits et aux services.

SMCL : Plusieurs sujets seront présents dans le salon portés par différents acteurs qui touchent à différents typologies de territoires : les solutions autour du bien vieillir, le rôle essentiel des personnes aidantes qui œuvrent à l’autonomie de leur entourage, l’accompagnement de la jeunesse, les dynamiques d’insertion professionnelle … Comment aujourd’hui appréhender la solidarité, développer des pratiques inclusives, et qu’attendez-vous de votre présence au salon ?

Pauline Bochkareva-Dubois : Pour tous les exemples que vous prenez, il est évident que pour être pertinentes les solutions apportées ne peuvent plus se contenter d’être monolithiques. Ainsi, pour travailler des stratégies d’actions autour du bien vieillir, un secteur traditionnellement connoté comme « réservé au secteur social », il nous faut aujourd’hui travailler avec nos collègues urbanistes pour proposer des environnements de vie «  bienveillants », nos collègues des déplacements pour sensibiliser aux besoins spécifiques des séniors et inventer les solutions de déplacement de très grande proximité, nos collègues des sports tant on sait aujourd’hui que l’activité physique est essentielle dans la prévention du vieillissement…Quand on tire le fil du point de vue des aidants, ce sont d’autres acteurs qu’il faut aller chercher, par exemple les entreprises quand l’aidant est encore actif…

Si  les élans utopiques de l’après-crise semblent s’éloigner progressivement, il n’en demeure pas moins que les politiques des collectivités locales ont pour finalité de permettre et de faciliter le vivre ensemble sur un territoire. De ce point de vue, les analyses d’impact des politiques menées selon  les typologies d’habitants / usagers, dont la diversité n’a d’égale que la richesse, sont aujourd’hui incontournables.

Les mouvements sociaux, qu’ils s’incarnent dans la crise des gilets jaunes ou dans les mouvements anti-pass ou anti-vaccins de cette fin d’été, ne font que toujours mettre davantage en évidence les profondes fractures de la société française.

Les professionnels du secteur social, premiers observateurs des impacts des politiques publiques sur les plus fragiles, ne peuvent porter à eux seuls la responsabilité d’y remédier.

Si l’ACTAS est présente au SMLC, c’est aussi pour témoigner de ces fractures, des pistes de travail initiées dans les territoires pour les limiter et de la nécessité de faire des questions d’égalité le fil rouge de l’ensemble des politiques des collectivités territoriales.

En outre, les mouvements sociaux de ces derniers mois, renvoient également à renforcer la transparence des modes d’élaboration des politiques publiques et la pédagogie de leurs mises en œuvre et de leurs résultats. En quelque sorte c’est l’éthique de l’action publique qu’il faut refonder. Les professionnels de l’ACTAS peuvent contribuer au débat aux côtés des acteurs locaux et le SMLC est l’occasion de mesurer la manière dont ces sujets sont abordées par ces derniers.

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